Mon père, décédé et reconnu en maladie professionnelle, a été vigneron toute sa carrière.

24/02/2016


Je m’appelle Valérie Murat. Je suis la fille de James-Bernard Murat, un vigneron du Bordelais, décédé le 8 Décembre 2012 d’un cancer du poumon reconnu maladie professionnelle par La MSA, liée à une exposition à l’arsénite du sodium de 1958 à 2000.
Mon père a été vigneron toute sa carrière. Il a hérité de la propriété de sa mère en 1969, 2 hectares et demi et a pris sa retraite en 2002 avec 11 hectares et demi.
C’est dans le cadre de son activité professionnelle qu’il a utilisé de l’arsénite du sodium pendant 42 ans pour traiter ses vignes contre l’esca sans que jamais personne ne l’alerte sur la dangerosité de ces produits alors qu’elle est reconnue depuis 1955, date de création du tableau des maladies professionnelles des pathologies liées à l’arsenic et à ses composés minéraux.
L’Etat français n’a définitivement interdit et retiré du marché ces produits à base d’arsenic qu’en novembre 2001, alors que la grande Bretagne l’a interdit en 1961, les Pays Bas en 1983 et les même les Etats Unis en 1988.
En France, ces dangers ont été occulté auprès des vignerons pendant plus de 40 ans tant par les firmes que par les services de l’état.
Il a été diagnostiqué en avril 2010 alors qu’il était à la retraite et à l’analyse de son calendrier professionnel : vigneron toute sa carrière il a tout de suite été orienté vers un service de pathologies professionnelles au CHU de Pellegrin, service du Pr Brochard à Bordeaux.
4 mois après, en août 2010 ce qui n’arrive jamais aussi vite, un certificat médical a été établi par le Pr Brochard attestant du lien entre sa pathologie et l’exposition chronique à l’arsénite du sodium.
Mon père a alors, été confronté brutalement à un lien qu’il n’avait pu faire puisque la dangerosité lui avait été occultée pendant plus de 40 ans, interlocuteurs institutionnels de la viticulture, les distributeurs, les représentants…
Cette annonce a été un véritable coup de massue pour mon père et notre famille.
Alors le parcours du combattant pour que mon père puisse faire valoir ses droits a commencé. Contrairement à nombre de paysans, il avait cotisé contre le risque professionnel dès 1969, alors que cela n’est devenu obligation légale qu’en 2001. Il n’aura finalement, pu jouir de ses droits qu’à partir de février 2012 date de la reconnaissance par la MSA jusqu’à décembre 2012, date de son décès, alors qu’il avait entamé les démarches deux ans auparavant.
Deux années de bagarre administrative auprès de la MSA et AAEXA organismes auprès des quels il a cotisé toute sa carrière.
En août 2012, alors que son état de santé se dégradait, il m’a fait part de sa volonté de rencontrer Maître François Lafforgue pour savoir si une procédure judiciaire était envisageable car il avait pris conscience de l’ampleur de la catastrophe sanitaire dont il était une des premières victimes, des enjeux que cela représentent ici, dans le bordelais, plus largement à propos du modèle agricole français qui repose sur les intrants, et parce que mon père contrairement à nombre de paysans était un homme qui parlait.
Avant qu’il ne décède je lui ai promis d’engager la procédure pour lui si cela s’avérait envisageable. A ce moment-là, ni mon père ni moi n’avions imaginé de l’héritage dont il s’agissait.

J’ai donc rencontré Maître François Lafforgue en janvier 2013, puis signé une convention d’honoraires avec lui en avril qui a suivi. J’avais alors choisi d’engager une procédure devant la CIVI pour que mon père soit reconnu victime de l’industrie chimique, que le préjudice qu’il a subi soit établi et reconnu. La possibilité d’une procédure au pénal avait aussi, dès le départ été envisagée car c’est l’unique à pouvoir dégager des responsabilités pénales = des personnes physiques visées qui doivent s’expliquer.
Nous nous réservions dès lors la possibilité de dépôt au pénal avant le 8 décembre 2015, date de prescription.
C’est à ce moment que j’ai commencé mes recherches sur l’arsénite du sodium et à tisser un réseau de personnes ressources pour m’aider dans ces recherches.
C’est à ce moment-là que j’ai rencontré ML B sur Facebook et qu’a commencé notre collaboration !
Le recours devant la CIVI a été déposé en aout 2013, dans ce cadre nous demandions au MA de nous fournir les copies des AMM des produits qu’a utilisé mon père depuis cette date. Suite à la décision favorable de la CADA en octobre 2013 et sans retour du MA, nous l’avons assigné au tribunal administratif en janvier 2014. En juin 2015 le TA nous a donné raison et le MA doit s’exécuter dans un certain délai.
En Mai 2014, j’ai découvert que les étiquettes des produits qu a utilisé mon père étaient erronées et incomplètes : R40 « cancérogène suspecté, preuves insuffisantes » était indiqué au lieu de R45 « cancérogène avéré », nomenclature établie par le CIRC.
Même si je savais depuis le début au fond de moi que j’irai au pénal, parce que c’est le seul moyen pour que les personnes physiques s’expliquent et c’est ce que veux, cette découverte a accéléré le passage à l’action pour le pénal, car cela constitue une preuve de la tromperie et de la duperie qui a été exercée sur les vignerons.
C’est pourquoi j’ai déposé plainte contre X pour homicide involontaire le 27 avril 2015 au Pôle de Santé Publique du TGI à Paris. Cette plainte a pour objectif de mettre en exergue toutes les responsabilités :
Celle des fabricants de ces produits et celle des services de l’état
Celle des syndicats de la profession de la viticulture Bordelaise
Celle de la MSA

Alors que certains professionnels de la viticulture s’entêtent à minorer – voire ignorer- le rôle joué par les pesticides dans la survenue de certaines pathologies et malgré le nombre croissant de reconnaissance en maladie professionnelle, je tiens à cette action en justice pour que mon père soit reconnu victime d’entreprises prédatrices, de leur collusion avec les services de l’état, pour qu’il ne soit pas mort aussi injustement pour rien, pour briser l’omerta qui règne dans la viticulture Bordelaise, alerter les professionnels afin qu’ils soient à même de se saisir de leurs droits et enfin mobiliser l’attention des citoyens sur cette problématique : les français acceptent-ils une société qui sacrifie des professionnels au profit d’intérêts économiques ?

De plus, la justice l’a pris très au sérieux, puisqu’elle a ordonné l’ouverture d’une enquête préliminaire le 7 juillet dernier qui peut durer de 6 à 12 mois. La 1ere audience devant la civi à Bordeaux aura lieu le 15 juin 2016 à 14h au TGI de Bordeaux 30 rue des frères Bonnie.