Chroniques d'une exposition ordinaire aux pesticides

07/10/2016

Avec ma femme et nos deux enfants, nous vivons dans la campagne gardoise, entourés de vignes et d’oliveraies.

Jouxtant notre maison, une parcelle d’oliviers subsiste au milieu d’un quartier pavillonnaire. Son propriétaire vient très régulièrement pulvériser du désherbant, pour « tenir la parcelle propre », et des pesticides, notamment contre la mouche qui pique les olives et réduit ainsi la production. Le plus souvent, nous sommes absents. Nous remarquons qu’il est venu lorsque les herbes commencent à roussir, quelques jours plus tard. Mais il nous arrive de l’apercevoir, le matin au saut du lit, pulvérisant sans aucune protection à 2 mètres de notre linge et à 10 mètres de nos fenêtres. Nous avons engagé la conversation poliment pour savoir ce qu’il pulvérisait. Ses réponses, sur un ton détaché, presque nonchalant : « Oh, c’est rien, c’est pour la mouche. Je ne mets quasiment rien« . Mais alors, quelle est cette odeur piquante qui nous oblige à rentrer ? La zone est connue pour être humide : après les pluies, c’est ici que le sol met le plus de temps à sécher. Que se passe-t-il alors dans mon sous-sol, situé en contrebas du sien et dans lequel mes enfants grandissent ?

Plus loin, le long de la route que j’emprunte à vélo pour me rendre au travail, j’entends régulièrement les moteurs des tracteurs avant de les apercevoir au milieu d’un brouillard qui s’élève de plusieurs mètres au-dessus des vignes et que le vent transporte vers les parcelles voisines (en culture biologique ?) ou vers les habitations. Là aussi, le sol est « propre » pour certains. Pour moi, il est mort. Quelques fois, je sens une odeur désagréable et ma réaction, dérisoire, est de stopper ma respiration jusqu’à ce que je me sois suffisamment éloigné. Une fois même, je suis passé au mauvais moment, quand le viticulteur atteignait la bordure de sa parcelle près de la route. J’ai alors eu l’impression qu’un brumisateur aspergeait mon visage. J’ai eu un geste de colère envers l’occupant du tracteur, qui m’a adressé un regard incrédule. Il n’avait aucune protection et son véhicule n’avait pas de cabine.

Je crois que ces personnes ont tellement banalisé leurs pratiques qu’elles n’ont plus aucune conscience de leur dangerosité pour elles-mêmes, pour les autres, pour l’environnement et pour leur environnement. Pourtant, si on les interrogeait, elles diraient probablement en toute sincérité qu’elles sont attachées à leur terre sans y voir de contradiction. C’est ce qui me rend inquiet. Si nos pratiques sont le reflet de nos mentalités, les dégradations environnementales qui découlent de ces gestes ordinaires sont beaucoup plus rapides que notre capacité à en prendre conscience.